Le Cahier (Partie V – Fin)

A lire précédemment : Le cahier Partie I ; Partie II ; Partie III ; Partie IV

Ce cahier, cela faisait un an qu’il n’avait pas été complété. Je suis troublé à la relecture de ces lignes. J’étais présent quand il avait écrit cette dernière page. J’avais feint de vaquer à mes occupations mais je l’observais toujours d’un coin de l’œil. Il s’était assis bien au fond de son fauteuil en cuir. Quand il eu finit, il l’avait ranger dans son secrétaire, qu’il laissait toujours ouvert, et ne cherchait jamais à cacher le cahier. Il le laissait en évidence. La couverture du cahier était d’un rouge très profond. Rouge comme un signe de danger, comme une alarme. Et en même temps comme un signe pour me dire « Vas y. Lis-moi. Qu’est-ce que tu attends ? »

J’ai donc été prendre le cahier et me suis installé dans son précieux fauteuil en cuir. Voici ce qu’il y avait d’écrit sur la dernière page de noircie.

« J’ai la migraine depuis hier. Je pense et repense, encore et encore, à ce que j’étais sur le point de faire. Je peine à retrouver l’envie de le tuer depuis que mes pupilles ont revues ce visage. Je peine à retrouver l’envie d’écrire aussi. Ces lignes seront surement mes dernières lignes. Pire encore, je crains devoir en terminer complètement avec ce cahier. Si je veux que ces pensées qui me hantent depuis des années disparaissent, il faut que ce ces pages ne vivent plus, et qu’elles ne soient plus jamais complétées. Ainsi, je brulerai  ce cahier ce soir, dans la vieille bassine métallique de la cave. »

Plus tard, alors que alors que la fumée du cahier brulant s’envolait depuis la bassine posée dans la cour, il téléphona à son frère. Je ne pus entendre ce qu’il disait. Les flammes s’emparaient de plus en plus du cahier. Moi je disparaissais petit à petit. Bientôt il ne restait plus rien du cahier. Et ma vie s’envola.

Gomina – Everywhere

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Le Cahier (Partie IV)

A lire précédemment : Le cahier Partie I ; Partie II ; Partie III

Rien ne s’était passé comme il l’avait imaginé.  Cela l’avait rendu fou. Il l’avait bien trouvé à la sortie du bar. Il l’avait bien suivi dans la petite rue. Il avait bien préparé son arme. Il était sûr de lui. Et puis, et puis… A la vue de son visage à la lumière de la lune, il s’est rappelé. Je cite ses mots dans le cahier « Je l’ai vu. J’ai vu son visage. Je ne l’avais pas vu depuis des années, mais je m’en souvenais comme si je l’avais vu hier. Il avait  changé, évidemment. Quelques rides au bord des yeux, des cheveux poivre et sel comme il faut. Je me souviens qu’il avait les cheveux noirs. Si noirs qu’ils avaient un coté irréel. Et tout cela m’a rappelé le passé. Et je n’ai pas pu. Je n’ai pas pu. J’étais là, mais je n’ai rien fait. Je ne pouvais pas le tuer. Pas ce soir. Pas  comme ça. Non. Il fallait faire ça en intelligemment  Je ne pouvais pas le tuer d’un simple coup de feu. C’était lâche. J’avais vécu avec. J’avais appris à le connaitre. Je l’avais vu évoluer. Je l’avais aimé. Il fallait que je le tue noblement. Mon frère jumeau. »

Beethoven – Symphony N°9 in D minor Opus 125, 4th movement

 

Le cahier (Partie III)

A lire précédemment : Le cahier Partie I et Partie II

Il écrivait toujours par petit bout. J’entends par là qu’il remplissait rarement une page entière de son cahier. Mais il aimait agrémenter ses textes de gribouillis, de photos, de noms de films, de chanteurs, de musiques. Bref, tout ce qui pouvait l’inspirer sur le moment. Ce qui était troublant pour moi quand j’ai ouvert ce cahier la première fois, et même encore parfois aujourd’hui, c’était qu’il y racontait comment il allait faire pour le tuer. Tout semblait avoir été pensé. La date, le lieu, le mobile, la procédure. Comment il allait se débarrasser du corps.

Tout ça lui était venu à l’esprit lorsqu’il avait failli se faire agresser. Un soir, alors qu’il rentrait chez lui, en prenant un raccourci qui le fit passer dans une ruelle, il vit un homme au moins aussi grand que lui, debout, au milieu devant lui. Son corps semblait musclé et tendu. Il pressa le pas, et alors qu’il passa à coté de l’homme, il le bouscula par mégarde. Survint un flash qui l’ébloui quelques instants. Quand ses pupilles commencèrent à se réhabituer à la noirceur de la nuit, il cru apercevoir un pistolet automatique, gros, noir, comme dans les films, entre les doigts de la main gauche de son agresseur. Il se mit alors à courir, trébucha, perdit ses lunettes, sorti de la ruelle et se réfugia dans le premier endroit qu’il trouva. Un kebab. Il se sentit regarder de toute part par les cuisiniers et les quelques clients qui étaient là, silencieux, hagards.

Après avoir repris ses esprits, il rentra chez lui, pris un nouveau cahier dans un tiroir de son bureau, un vieux bureau de maitre d’école récupéré dans une brocante, noircit la première page puis le lendemain écrivit son aventure de la veille sur la deuxième. Chaque jour ainsi, et pendant 14 jours durant, il écrira petit à petit sur ce cahier.

Et c’est ainsi qu’il s’y prendrait.

Plus loin dans le cahier, il avait écrit ceci : « Un soir, un vendredi, c’est le jour de la semaine où il rejoint ses amis pour prendre un verre, alors qu’il rentrerait chez lui, je le suivrais. Il y a une petite rue juste avant d’arriver chez lui. Je le sais, je le connais, je l’ai épié depuis des jours, des semaines, des mois. C’est presque comme si je le connaissais depuis toujours. C’est dans cette rue que je passerais à l’acte. J’aurais prit soin de charger mon flingue et de l’avoir à porter de main, pour agir vite. Il faut agir vite. J’ai assez regardé de séries policières pour le savoir. Et bien là, dans la nuit, dans cette petite rue toujours déserte, quand je me serais assez rapprocher de lui, ni trop près, ni trop loin, j’appuierais sur la gâchette. PAN ! PAN ! PAN ! »

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