Rien avec des mots

J’ai revu Paul. Je me suis tout de suite souvenu de son prénom quand il est venu se protéger de la pluie sous l’abri sur le quai direction Paris. A ce moment là, nos regards se sont croisés le temps d’une fraction de seconde. Le temps d’un léger courant électrique. Nos deux yeux se souvenaient s’être vus avant.

Avant c’était il y a dix ans au moins. On était scouts ensemble. Lui est issu d’une famille catho. Il portait toujours des shorts. Cela devait arriver un mois dans l’année, ou deux tout au plus, qu’il porte des pantalons. Pendant les jours trop froids de l’hiver.

Plus tard, au collège, cela lui donnait droits à quelques moqueries stupides d’autres camarades. Moi je ne comprenais pas ces moqueries. Il aimait simplement être en short. Il était surement plus à l’aise comme ça. Les pantalons le rendait inconfortable.

Il pleuvait. C’était la fin du mois de mai. Cette fois, il était en pantalon. Pour le reste, c’était toujours le même. Même tête, même coiffure, même genre de parka, même genre de chaussures. Toujours cette petite tête timide, l’air légèrement malheureux. Je l’ai revu. Il m’a revu. On ne s’est rien dit. Rien avec des mots.