Je t’écrirai souvent

 Tu ne sais pas qui je suis, mais je sais qui tu es. S’il te plait, laisse moi te dire ces quelques mots que j’ai écrit pour toi.

Hiver 1973.

Cher Joseph,

Tu t’étais habillé d’un joli costume noir, d’une chemise blanche, et d’un nœud papillon. Tu avais du charme et tu savais en jouer. Jamais cependant tu n’en faisais trop. Tu restais simple, toujours. C’était Noël. Tes parents t’avaient invité avec ton frère et ta sœur avec ses deux enfants (ton frère était encore célibataire à l’époque). Toi tu étais venu accompagné d’elle. Vous aviez tous passé la nuit chez eux pour pouvoir tous vous retrouvez, et surtout, pour voir les enfants, tes neveux, ouvrir leur cadeaux au petit matin. Le soleil était à peine levé quand les petits s’étaient réveillés et précipités aussitôt près du sapin pour voir ce que le Père Noël leur avait apporté. Tu faisais toujours beaucoup d’efforts en cette période de l’année. Noël t’ennuyait au plus haut point mais tu ne l’as jamais avoué à personne. La raison ? Tu ne te souvenais pas toi même pourquoi il y a encore peu. Mais un mauvais souvenir d’un Noël où tu étais enfant est remonté à la surface.

C’est souvent ce que font les vieux souvenirs, ceux qu’on a bien enfouit tout au fond, quand on vit des naissances dans sa famille proche, ils remontent à la surface. En fait, une naissance c’est comme un gros caillou qu’on jette dans une mare. Ca fait d’abord un gros PLOUF, on est content, ça nous amuse, c’est génial. Et puis, une fois que le caillou traverse l’eau et cogne le fond de la mare, toute la vase qui s’était doucement déposée au fond rejailli dans l’eau avant de se redéposer lentement au fond. Et bien, les vieux souvenirs c’est ce dépôt qui flotte. Ca remonte légèrement à la surface. Je m’en souviens, tu t’en souviens aussi, nous nous en souvenons, nous en parlons. Mais tu n’aimes pas ça, alors tu acquiesces gentiment de la tête et tente de changer de sujet. En espérant que tout cela redescende vite au fond de la mare.

Ce souvenir d’un mauvais Noël c’était vraiment un mauvais souvenir d’enfance, un souvenir qui laisse un traumatisme. Je ne te parle pas d’un viol, non rien de si grave non plus, mais je ne te parle pas non plus du jour où tu as compris que le Père Noël n’existait pas. C’est un souvenir entre les deux. Un souvenir inavouable.

Tu décidas donc de délaisser le monde des adultes pour aller jouer avec tes neveux et leurs nouveaux jouets. Surtout que tu n’avais pas la tête tranquille à cette époque. Bien que ton couple s’aimait d’amour, que d’importants projets, ceux que font les adultes, prenaient doucement vie, tu n’as pas pu t’empêcher de tomber amoureux d’une autre. Cela ne voulait pas dire que tu n’aimais plus celle avec qui tu vivais depuis des années. Tu étais amoureux des deux. C’est ce que tu voulais te faire croire en tout cas.

C’était Noël, il fallait faire bonne figure. Et au moins, avec les enfants, pas de problèmes. Tout est simple quand on est enfant. La vie en tout cas, paraît beaucoup plus simple. Les enfants ont des notions complètement différentes des nôtres. Par exemple, un voyage en voiture Brest – Paris paraît interminable alors qu’un voyage en avion Paris – Mexique passe bien trop vite. Et on finit par entendre des phrases comme « Le Mexique c’est plus près que Paris ! ».

Ton neveu avait eu un petit train pour Noël. Tu t’amusais bien avec lui. Tu as toujours été joueur. Mais toi tu savais aussi jouer à des jeux très cons. Comme bruler soudainement d’amour pour elle, que tu connaissais depuis si peu de temps. Elle incarne le mal mon ange. Avec ses cheveux d’or et ses yeux si bleus, et ce corps si jeune. Il est bien dommage, et bien étrange, que le mal soit si beau. Tu t’étais laissé attirer, oui, comme un con. Tu t’étais laissé avoir par le chant de cette sirène. Tu aurais dû, comme les marins d’Ulysse, te couler de la cire dans les oreilles pour ne pas succomber à son chant. Ou comme van Gogh, te couper les oreilles. Je ne sais pas. Que pouvais-je bien y faire ? Il neigeait dehors et tu t’amusais tellement bien toi. Toi, tu aimais jouer au train qui déraille.

À demain.

                                                                                                                                  Léon.